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Channel: Saint-Pierre-des-Corps, les épines fortes » Emploi
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À la mission locale, entre galères et espoirs

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Kirill et Sostheme pourraient être des personnages du roman de Georges Perec, La vie mode d’emploi, dont le projet s’énonce ainsi : « Face à l'inextricable incohérence du monde, il s'agira d'accomplir jusqu'au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible. » Ils ont moins de vingt ans. Tous deux inscrits à la mission locale pour l’emploi de Saint-Pierre-des-Corps, ils « galèrent » comme on dit communément. Mais gardent le cœur empli d’espoir et un rêve modeste en tête : vivre leur vie, c’est-à-dire la gagner, tout simplement. Tout un programme, « restreint sans doute », chez ces deux « irréductibles »…

Kirill, 19 ans, a retrouvé la motivation depuis son inscription à la mission locale. © Arnaud Manceau.

Kirill est stressé en ce moment. Et il a la tête ailleurs. Au point d’en oublier ses clefs et de se retrouver enfermé dans l’appartement de sa grand-mère à Saint-Pierre-des-Corps. Mais le jeune chômeur de 19 ans a une bonne excuse pour expliquer sa mésaventure : il attend impatiemment qu’un patron le rappelle pour un entretien d’embauche. « Ça devrait le faire », veut-il croire. Sa situation professionnelle ne l’a pourtant pas toujours rendu aussi optimiste. Il s’est parfois découragé face à tous ces CV et ces lettres de motivation envoyés sans recevoir de réponse. Face aussi à ces entreprises démarchées spontanément et qui vous font comprendre, à peine la porte franchie, qu’elles n’ont pas besoin de vous. Neuf mois de recherches vaines qui l’ont poussé à s’inscrire à la mission locale pour l’emploi.

Créée en 1996, celle-ci accueille les jeunes de 16 à 25 ans sortis du système scolaire et les aide dans leur insertion professionnelle et sociale. En 2012, 444 ont été reçus, dont 164 nouveaux inscrits, dans une commune où 17 % de la population active est au chômage. La plupart ont peu ou pas de diplômes et leur expérience professionnelle est souvent limitée.

Kirill, né à Saint-Pétersbourg, est arrivé en France il y a huit ans avec ses parents. Quitter la Russie « n’a pas été facile, mais je me suis habitué », dit-il pudiquement. Il a arrêté ses études en seconde après avoir obtenu un CAP de conduite de systèmes industriels. Non qu’il n’aimait pas l’école, mais le bac, ça ne lui « plaisait pas ». Il voulait construire sa vie. Et comme beaucoup de jeunes, il a été très vite confronté aux réalités du marché du travail. « Il se rend compte de ses difficultés, indique Sylvie Epinard, conseillère à la mission locale, et que Kirill appelle affectueusement " Madame Sylvie ". Mais je suis optimiste pour lui, il se remet en question et il et ne baisse pas les bras. »

Créée en 1996, la mission locale de Saint-Pierre-des-Corps aide les jeunes à s'insérer dans le monde du travail. © Arnaud Manceau.

Depuis son inscription il y a un an, Kirill a visité des entreprises, rencontré des patrons, fait des stages… Et il a surtout retrouvé la motivation. Cette motivation qui vous donne envie de vous lever le matin. Car même s’il « aime bien dormir », rester au fond du lit jusqu’à midi est souvent moins un plaisir qu’une nécessité : celle de rendre les journées moins longues. Kirill ne sort pas beaucoup. Mis à part le week-end pour jouer au football ou aller à la pêche, sa grande passion. Il lui arrive aussi d’aller à Tours « manger un morceau », mais guère plus. Il n’en a pas les moyens, pas l’envie non plus. Il préfère rester chez lui à s’occuper de ses quatre petits frères et sœurs. Alors pendant plusieurs mois, son quotidien, ce fut d’interminables journées à traîner dans l’appartement familial, au 14e étage d’une tour de La Rabaterie, quartier populaire de Saint-Pierre-des-Corps. Une inactivité qui ne manquait pas d’interroger les voisins : « c’était mal vu, souffle-t-il. Les gens se demandaient ce que je faisais. »

Lucide, Kirill ne veut plus faire partie de « ces jeunes qui ne se donnent pas à fond et qui restent chez eux les bras croisés ». Lui qui a longtemps fait de la lutte est bien décidé à se battre pour obtenir un emploi. Plus mûr, il a maintenant des règles de vie intangibles : ne pas arriver en retard, ne pas faire de bêtises et ne pas manquer de respect. Alors, à défaut de trouver tout de suite un emploi dans son secteur de prédilection, le commerce, Kirill essaie de se faire embaucher dans le bâtiment. « Un travail manuel, un travail d’homme », celui de son père, ouvrier sur les chantiers. Ce père qui travaille dur et à qui il souhaite ressembler. Kirill rêve d’avoir un salaire, de passer son permis de conduire, de pouvoir offrir un cadeau à ses frères et sœurs pour leur anniversaire, d’être autonome… Mais pas seulement. Travailler, pour lui, c’est aussi une question de dignité, de fierté : « Je veux que mes frères et sœurs voient que je ne suis pas un bon à rien. »

Un cadeau, Sostheme aimerait bien pouvoir en acheter un à son fils. Un petit garçon, né il y a quatre mois et dont l’arrivée a changé ses priorités. « Avant, j’étais un peu trop jeune pour travailler », raconte-t-il du haut de ses 18 ans. Avant, c’était la Centrafrique, son pays natal, quitté en 2009, dans l’espoir de faire de bonnes études en France. Avant, c’était l’appartement de celle qu’il nomme sa « tante », une amie de la famille, qui l’a accueilli lors de son arrivée à Saint-Pierre-des-Corps. Avant, c’était l’insouciance, les journées sans occupations précises. Internet, le football… Sostheme joue encore comme avant-centre dans le club de Joué-lès-Tours : « Parfois, je marque plusieurs buts par match ! La finition, c’est mon travail. » Mais un travail qui ne lui permet pas de gagner sa vie. Une vie où la responsabilité s’est invitée : « Je suis un homme, je dois me battre pour protéger ma famille et lui donner à manger. »

Sostheme, 18 ans : « Je n'ai pas de boulot, je n'ai pas de revenus. Mais je me bats pour y arriver. »                          © Anthony Bonnet.

Depuis le début du mois de février, Sostheme vit dans son propre appartement avec sa « copine » et le bébé. Une copine croisée au hasard des rues, lors d’une virée entre amis à Châteauroux. Un vrai coup de foudre. Elle n’a pas hésité, malgré les réticences de ses parents, à résilier son contrat de travail pour venir le rejoindre. Sostheme a les yeux qui brillent lorsqu’il parle de cette histoire d’amour qu’il aimerait bien vivre sans trop de soucis. « C’est dur et je galère », confie-t-il inquiet. Il y a trois mois, il s’est donc adressé à la mission locale qui l’a fait bénéficier d’un contrat d’insertion à la vie sociale (CIVIS). Pendant un an, Sostheme va percevoir une aide de 150 euros par mois, toucher des chèques pour l’alimentation, avoir une carte de bus gratuite…

La mission locale lui a également donné un coup de pouce pour renouveler sa carte de séjour en payant une partie du timbre fiscal. Une assistance indispensable pour celui qui est, comme 23 % des jeunes en France, en situation de pauvreté. En contrepartie, Sostheme s’est engagé à faire des stages et participe à des chantiers de réhabilitation animés par les éducateurs de prévention de Saint-Pierre-des-Corps. Il a ainsi passé une semaine en Vendée pour retaper un immeuble. Une activité qui, sans lui déplaire, le frustre quelque peu : « J’aimerais travailler avec ma tête plutôt qu’avec mes mains. » Mais il n’a pas le choix, il a besoin d’argent. Il rate même parfois certains ateliers d’orientation, préférant faire des petits boulots qui lui rapportent 20 ou 30 euros. De quoi payer le lait du bébé : 21 euros par semaine. « Et souvent, ça revient encore plus cher car il mange trop », dit-il en riant.

Malgré les difficultés, Sostheme, qui se définit comme « un garçon calme et un peu intelligent », ne se résigne pas. Il rêve d’un avenir autre : retourner au lycée, faire des études de droit et devenir avocat pour « défendre les innocents derrière les barreaux ». Ce « catholique à 100 % » compte aussi retourner en Centrafrique le 25 décembre prochain pour y baptiser son fils. Là, sur la terre de ses ancêtres, il demandera sa compagne en mariage : « Ce sera le plus beau jour de notre vie. On sera une famille réunie pour l’éternité. » Le jeune homme en est persuadé : il va s’en sortir.

 


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